La gorge nouée par l’émotion

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Il y a de ces moments dans nos vies qui nous touchent plus que d’autres — je viens de vivre l’un de ces moments.

J’étais sur le point de sortir d’un grand magasin de Ste-Foy lorsque j’ai vu une petite fille.

Mignonne comme tout, avec ses petites lulus brunes, sa jupe rouge et ses espadrilles blanches, elle respirait le bonheur et la joie de vivre. Elle devait avoir environ 4 ou 5 ans et comme tous les enfants de cet âge, elle voulait tester les limites de ses parents.

Elle se retournait et disait à sa mère « Je veux aller là-bas! » — et en effet, avec son petit minois espiègle à souhait, si elle avait pu y aller, elle y aurait été en un clin d’œil mais voilà, cette petite fille n’avait pas le plein usage de ses jambes et devait se déplacer avec l’équivalent d’une petite marchette (en métal avec des roulettes) adaptée pour un enfant.

Cette petite fille avait dû avoir le temps de s’habituer à sa condition et à son équipement car elle ne faisait ni attention au fait qu’elle ne pouvait pas courir librement ni au fait qu’elle devait trimbaler une marchette partout où elle voulait se rendre.

Elle n’était qu’une petite fille qui voulait explorer et s’amuser… en se sauvant de sa mère!

Mais cette scène, où des gens devant moi la coupaient avec leurs paniers, sans même lui donner l’opportunité de pouvoir « se sauver » de sa mère (pour s’amuser, comme pour tous les autres enfants) m’a brisé le cœur.

Je me disais « mais pourquoi ces gens ne la laissent-ils pas passer au lieu de lui couper le chemin avec leur gros panier? » et là, ce fût à mon tour d’avancer avec mon panier mais malgré une longue file de personnes derrière moi, je me suis arrêté-net pour laisser passer cette petite fille qui voulait courir et faire courir sa mère, juste pour s’amuser.

Et là, il s’est produit un moment magique.

La petite fille, m’a regardé en se demandant pourquoi je ne lui bloquais pas le chemin, comme les autres qui m’avaient précédé et là, je lui ai dit « Tu peux y aller ma belle! » et là, elle s’est probablement demandé si elle voulait bel et bien se sauver de sa mère — elle a pris une bonne quinzaine de secondes pour se décider à finalement retourner vers sa mère et ce qui m’a frappé, c’est que pendant qu’elle soupesait ses choix, presque tout le monde dans l’entrée a cessé de parler.

Je sentais que tout le monde venait de comprendre qu’au-delà de notre « rush de magasinage » passablement superficiel, il y avait une petite fille probablement handicapée pour la vie qui considérait sérieusement l’idée de se sauver de sa mère qui, en voyant tous les paniers couper le chemin à sa fille devait se dire qu’elle ne pourrait pas aller bien loin mais là, elle avait une « fenêtre d’opportunité » pour se sauver et elle était là, devant nous tous en train de choisir.

Elle a donc finalement choisi d’être « sage » et de ne pas se sauver mais elle m’a regardé en souriant et ça m’a noué la gorge de voir que cette petite fille absolument merveilleuse avait réussi à faire taire des dizaines de personnes, visiblement pressées, pendant une quinzaine de secondes et après ça, tout le monde semblait profondément ému par ce qu’ils venaient de voir.

Personne ne voulait regarder cette petite fille comme si elle était différente mais à l’évidence elle l’était et je ne crois pas être le seul à avoir compris qu’elle ne voyait tout simplement pas son handicap comme nous pouvions le percevoir et qu’il nous appartenait de tout faire pour favoriser son plein épanouissement, dans le respect intégral de ses capacités.

Ceux qui ont une santé enviable oublient parfois à quel point tout peut basculer en un instant et combien il est fondamental dans notre société d’apprendre à accueillir les différences comme des variantes de vie qui ne changent rien à l’intensité que chacun entretient dans sa version de la grande expérience humaine.

Mon point, c’est que j’avais probablement oublié tout ça et en quelques instant, j’ai eu la gorge nouée par l’émotion de toute cette scène.

Je me demandais si, parmi divers scénarios, les gens qui me précédaient l’avaient laissé passé au lieu de lui couper le chemin (ils savaient qu’elle voulait passer mais ils ont consciemment décidé de lui couper le chemin — il y a des gens comme ça), est-ce qu’elle se serait sauvé? Est-ce que ça aurait un moment inoubliable pour elle de voir sa mère lui courir après dans le magasin, comme elle souhaitait le faire?

Tant de questions et pourtant, cet évènement n’a duré que quelques minutes, tout au plus.

C’était surréaliste de voir que tout le monde avait soudainement compris que ce moment n’était pas comme les autres et qu’en lui laissant de la place pour passer, cette petite fille obtenait enfin l’attention qu’elle méritait (pendant que sa mère parlait, plus loin, tout en la surveillant du coin de l’œil).

Enfin bref, les moments magiques de notre vie peuvent arriver au moment où on s’y attend le moins et je ne suis pas encore certain de comprendre toute l’importance de ce que j’ai vécu mais je suis heureux d’avoir pu partager ce court instant de vie avec elle et tous ceux qui, autour de moi, n’avaient aucun mot à dire qui était plus fort que ce qu’ils voyaient se dérouler, devant leurs yeux.

Je ne recroiserai probablement jamais plus cette petite fille, de toute ma vie mais l’instant qu’elle m’a fait vivre restera gravé à jamais dans ma mémoire.

J’en profite pour lui souhaiter de ne jamais cesser de rêver et j’espère qu’un jour, elle pourra se sauver, elle aussi et faire courir sa mère, question de se sentir vivre pleinement, comme tous les autres enfants de son âge.

Tags: expérience de vie, tranche de vie, gorge nouée, émotions, magasinage, personnes, gens, expérience, émerveillement

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